Voyage au Piémont vaudois
Faut-il que j’aime les Amis du MIR pour que je renonce pendant quatre jours, du 29 mai au 1er juin, à visionner le tournoi de tennis de Roland Garros et que je préfère les majestueux paysages des vallées alpines aux rebonds de la petite balle jaune.
Béni par un ciel radieux, le groupe des Amis du Musée international de la Réforme, sous la conduite aimable et savante de Bernard Felix, pasteur retraité, et de Christoph Stucki a sillonné les chemins tracés autrefois par les Vaudois du Piémont.
Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas de natifs du canton de Vaud, mais de membres de l’Eglise vaudoise, fondée par les suiveurs de Pierre Valdo (né en 1140, mort en 1217). Valdo, un riche marchand de Lyon, se convertit en utilisant sa fortune pour payer des traducteurs de la Bible et soutenir les pauvres en leur apprenant à lire et mémoriser les Psaumes. Il encouragea les clercs à enseigner et présider les cultes, sans se plier à la hiérarchie et au pouvoir ecclésiastiques.
Cette communauté d’une pauvreté évangélique, les Pauvres de Lyon, faisant partie des Ordres mendiants, a été contrainte de s’expatrier en 1184. De là débuta leur errance en Suisse, en France, en Italie. Puis ils furent condamnés par le concile de Latran IV en 1215, en même temps que les cathares et à l’époque des premières Croisades.
Ce préambule pour expliquer les origines de l’Eglise vaudoise qui existe encore en Italie, notamment au Piémont. Après l’exil en Suisse (dans le canton de Vaud), en Allemagne et aux Pays-Bas, nous retrouvons une partie de la communauté pour son « Glorieux retour » en 1690.
En 1686 le duc Victor Amédée avait forcé les Vaudois à abjurer, sinon ils risquaient l’emprisonnement dans des forteresses. Une résistance se réveilla cependant et les Vaudois se battirent contre les forces franco-piémontaises dix fois plus nombreuses. Une fameuse bataille eut lieu aux abords de la Balsiglia. Malgré de nombreux tués, 360 rescapés parvinrent à s’échapper, grâce à l’arrivée d’un épais brouillard, qui brouillait les pistes. Ils se réfugièrent sur un rocher central, le Pain de sucre. Puis, grâce à l’aide inespérée de pays et royaumes protestants, l’Eglise vaudoise finit par se réinstaller au Piémont. Ce fut le Glorieux retour.
Pour nous, ce n’était pas un retour, mais une découverte. Nos pérégrinations étaient facilitées par Thibault, le chauffeur du car qui nous a conduits en douceur dans les chemins les plus inattendus.
Notre voyage débuta par le col du Mont-Cenis, puis Novalesa avec la visite d’une abbatiale Saint Pierre et André datant de 726, qui a connu de nombreuses altérations. Actuellement elle est couverte d’échafaudages, mais l’une des quatre chapelles qui l’entourent est une église entièrement décorée de fresques byzantines datant du 11e siècle.
Après une première nuit à l’hôtel Napoléon à Suse, nous avons visité le musée de cette fameuse Balsiglia, en compagnie de notre guide parfaite, Daniela.
Cette école rend hommage au Retour, le Rimpatrio de 1689 avec au sommet de la façade la devise des Vaudois : Lux lucet in tenebris, la lumière luit dans les ténèbres. Ce qui rappelle un peu la devise genevoise, Post tenebras lux.
Dans l’après-midi, ce fut le musée des Vaudois à Torre Pellice avec la savante guide Annie, avant l’arrivée à l’hôtel Alter à Barge, un bâtiment réaménagé par l’architecte et propriétaire Marco Luciano à partir d’une usine désaffectée dans lequel il a aussi installé une superbe collection de voitures italiennes, Fiat et Lancia, des années 1930.
Le seul désavantage de cet hôtel est remarqué par les personnes âgées : trop d’escaliers nécessaires pour accéder aux nombreux demi-étages des restaurants, bars et salons.
Il faut avouer que notre groupe n’est pas de la première jeunesse. Plusieurs couples se sont d’ailleurs vantés d’avoir dépassé les trente voire les quarante années de vie commune.
Le val d’Ancrogne
Le val d’Ancrogne a constitué le but de notre troisième journée, le samedi. Notre superbe guide Rolande s’est révélée une cousine de Bernard Felix. Les protestants sont une grande famille. N’est-ce pas ?
Notre photo montre Rolande en dessus du monument de Chanforan à Serre qui rappelle le synode réuni en 1532 avec environ 200 délégués des paroisses, ayant pris la décision d’adopter la réforme protestante.
Parmi les autres activités de cette journée, la visite de l’école créée par l’Anglais Beckwith au 19ème siècle avec ses bancs de bois, des cartables de l’époque et du Musée des Dames qui rend hommage à plusieurs Marie : Dentière, bien connue aux Bastions, et Durand, de la tour de Constance, entre autres célébrités.
Un chemin bien aménagé sous les châtaigniers nous a amenés aux grottes de La Tana (je n’étais heureusement pas la seule à éviter la descente escarpée), utilisée comme église pendant les périodes de persécutions.
Puis arrivée à Pra del Torno, montée au collège des Barbes, qui n’étaient pas des barbares, mais des pasteurs n’ayant pas le droit de porter ce titre, suivi d’un culte dans le nouveau temple.
Le dîner du soir s’est déroulé au El Sacocin (qui ne signifie pas sacro saint), encore un de ces succulents restaurants de la région dont les prix nous surprennent agréablement, ils sont souvent la moitié sinon le tiers de ce qu’on aurait dépensé en Suisse.
Le dimanche était consacré à la visite du monastère de Bose, un village accueillant.
Nous avons été reçus par des frères fort aimables et par Daniel Attinger, pasteur neuchâtelois, un des frères fondateurs en 1966. Nous n’avons vu les sœurs que durant le culte, séparées des hommes ; elles portaient le même habit blanc, mais avec un voile en plus.
La célébration m’a, je l’avoue, paru plutôt lugubre. Et pas seulement parce que je ne comprends guère l’italien. La seule partie qui m’a parlé, c’était lorsque le frère priait pour tous les lieux où se passent des choses horribles dans le monde. L’orgue accompagnait dignement les litanies et ne s’est montré dynamique que durant ses rares exécutions en solo.
Notre dernier repas piémontais a été pris à Magnano, avant de rejoindre le car pour rentrer à Genève via Aoste et le tunnel du Mont Blanc. Autant l’arrivée par le col du Mont-Cenis avait été un plaisir, autant le retour par le tunnel du Mont-Blanc a été triste.
Souvent j’avais entendu que les durées d’attente au passage du tunnel s’élevaient parfois à plusieurs heures. Je n’avais pas imaginé que j’expérimenterais la chose. Ce furent deux heures, pendant lesquelles le chauffeur avançait de cinq mètres toutes les deux minutes environ. Pendant ce temps, nous somnolions ou nous étions réveillés par les blagues – juives ou chrétiennes - que racontait, avec toujours le même humour, notre pasteur retraité, puisant dans son intarissable mémoire.
La Suisse nous a accueillis sous la pluie, alors que nous avions bénéficié d’un temps superbe pendant notre séjour piémontais. Heureusement, Genève a été plus aimable, la pluie avait cessé et nous avons pu faire nos adieux sous un ciel rasséréné, en espérant nous revoir bientôt dans notre cher Musée international de la Réforme.