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Esprit d'escalier

Beaucoup d’expressions, par leur sonorité, leur choix de mots, leur signification,  font le charme de la langue française. Il en est une que je vous propose aujourd’hui : l’esprit de l’escalier, dit aussi esprit d’escalier.

Il m’a frappée au sens propre, lorsque je me suis presque flanquée par terre en ratant une marche d’un escalier à vis descendant à la cave. Heureusement je suis parvenue à me rattraper en agrippant la main courante. C’est alors que je me suis mise à gamberger.

Architecture

L’escalier a bien des fonctions qui en expliquent la construction. Dans une tour par exemple, il tourne généralement vers la droite. Mais dans un château fortifié du Moyen Âge, il tourne de manière inversée, vers la gauche, pour que l’homme puisse combattre en tenant son arme de la main droite.  

Dans un château Renaissance, on peut lui donner des allures à la fois somptueuses et intimes, comme celui de Chambord, à double hélice, où deux  personnes l’empruntent sans se croiser.

On trouve un autre exemple de double hélice, à Lausanne, dans  la tour de Sauvabelin. Les escaliers de montée et de descente se croisent mais ne se rencontrent pas. Elle a été construite en bois massif provenant des forêts des environs en 2003. Œuvre de l’architecte Bernard Bolli, elle s’élève à 35 mètres de hauteur et offre une vue panoramique à couper le souffle, si les 151 marches ne l’ont pas déjà fait.

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A Genève, pour accéder au ciel en escaladant les deux tours de la cathédrale Saint-Pierre, on compte quelques marches supplémentaires : 157 !

Avec ses 11.674 marches, le plus long escalier du monde se trouverait en Suisse, à Niesen dans les Alpes bernoises. Il longe le Niesenbahn, le funiculaire qui mène au sommet, là aussi avec un superbe panorama, je suppose, ne m’y étant pas lancée. Mais quelques audacieux y font même la course.

Montmartre, le quartier touristique qui surplombe Paris, se glorifie de ses 38 escaliers, de différents aspects et longueurs. Le plus remarquable est celui de la rue Foyatier (du nom d’un sculpteur du 19e siècle dont aucune œuvre ne se trouve là) qui monte en paliers le long du funiculaire. Il aboutit au pied du Sacré Cœur.

escalier-montmartre-foyatier.jpg

Ces escaliers de Montmartre font penser à une chanson, la Complainte de la Butte :

« Les escaliers de la Butte sont durs aux miséreux

Les ailes des moulins protègent les amoureux. »

Dans le film de Jean Renoir, French Cancan tourné en 1955, elle est interprétée par Cora Vaucaire et fera ensuite le bonheur de beaucoup de chanteurs. Les paroles ont été écrites par Jean Renoir lui-même avec une musique de George van  Parys.

Un film, muet celui-là, datant de 1925, est célèbre pour son escalier : Le Cuirassé Potemkine de S.M. Eisenstein relate une mutinerie de marins dans le port d’Odessa. La façon dont le cinéaste a filmé la scène de l’attaque des cosaques descendant ce fameux escalier, alternant les gros plans sur des victimes et les images générales, en a fait un des joyaux de l’histoire du cinéma, que tout cinéphile se doit d’avoir vu au moins une fois dans sa vie. Existe-t-il encore aujourd’hui quand la ville est victime d’attaques russes ?

Potemkinstairs.jpg

Le pont construit en 1825 est photographié ici vers 1900 (wikimedia)

Beaucoup de livres choisissent l’escalier dans leur titre, sinon dans leur thème. L'Escalier de la vie de la Belge Lise-Anne Martin a attiré mon regard par une approche pondérée : « La vie c’est comme les marches d’un escalier, elles sont toutes nécessaires. Parfois dures à gravir mais surtout faciles à dégringoler. » Voilà une définition plutôt pessimiste, mais n’est-il pas vrai que la vie, si elle n’est pas brutalement interrompue, s’achève forcément par la décadence ?

Esprit

Par ce détour tortueux, revenons au sens figuratif de l’expression elle-même, l’esprit de l’escalier.

Elle a été inventée, si l’on en croit wikipedia, par Diderot dans le Paradoxe sur le comédien : « L’homme sensible, comme moi, tout entier à ce qu’on lui objecte, perd la tête et  ne se retrouve qu’au bas de l’escalier. » C’est dire qu’il est un peu lent à la repartie.

Dans une lettre à un ami, le poète Verlaine se dit aussi affecté : « Cet esprit de l’escalier qui me caractérise… ».

Combien de fois ne nous arrive-t-il pas de nous agacer en trouvant après coup la réplique appropriée, grâce à laquelle on aurait pu clouer le bec d'un importun ?

En répondant à un de ces appels téléphoniques non sollicités, celui d’un producteur de vin à Bordeaux, je ne sus, énervée, que raccrocher sans dire un mot. Mais lorsqu’il récidiva, ce qui ne pouvait manquer, ma riposte était prête : « Je ne m’intéresse pas à votre Bordeaux, je n’achète que du vin genevois ! ». Histoire de faire un peu de publicité à un vignoble méconnu.

Si l’esprit de l’escalier sévit au cours de conversations, il ne devrait pas embarrasser l’écrivain, qui a tout le temps de peaufiner ses phrases.

Mais pour le romancier Julien Green, l’escalier représente la vie entière et surtout : « Passé un certain âge, la vie est un escalier qu’on descend à reculons », écrit-il dans son Journal en 1942, lorsqu’il n’est pourtant âgé que de quarante-deux ans.

L’escalier occupe la tête mais aussi les jambes. Pour me maintenir en bonne santé, j’ai décidé d’emprunter l’escalier au moins une fois par jour et grimpe plus ou moins allègrement mes sept étages. 

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