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On ne badine pas avec l'amour

On ne badine pas avec l’amour, déclare Musset dans une pièce idéalement interprétée ces jours au théâtre de Carouge dans une mise en scène admirable de Jean Liermier.

Ce titre inspire des questions que l’auteur pose à ses personnages autant qu’à son public. L’amour, est-ce si sérieux qu’on ne puisse en badiner ?

Lorsque Camille, jeune fille de 18 ans, interroge tout crûment son cousin Perdican sur ses conquêtes amoureuses, lorsque celui-ci, un peu éberlué, finit par répondre honnêtement, le spectateur se demande où elle veut en venir.

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Cyril Metzger (Perdican) et Adeline d'Hermy, de la Comédie Française (Camille)

 Photo Carole Parodi

Qui est coupable dans cette comédie des erreurs qui finit tragiquement ? Camille, jeune et influençable, dont les sentiments changent d’une heure à l’autre ?  Perdican, quand  il entraîne la pauvre Rosette dans un jeu qu’il voudrait innocent ? Le baron, qui a imaginé que le mariage de son fils et de sa nièce serait le jour le plus agréable de sa vie ?

Les très longs dialogues entre les deux cousins sont étonnamment réalistes pour l’époque, ce qui explique probablement pourquoi l’œuvre  ne sera jouée pour la première fois qu’en 1861 à la Comédie Française. Musset, lorsque la pièce est publiée en 1834, sous-titrée « proverbe », n’avait que 24 ans. Il rentre, malade et malheureux, de Venise, après sa rupture avec George Sand.  

C’est sans doute George Sand qui a inspiré l’un des personnages qui guide Camille dans sa vision de l‘amour. « Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer d’un amour éternel et faire des serments qui ne se violent pas. »

Dans  L’Histoire de ma vie, George Sand décrit une religieuse du couvent où elle a passé sa jeunesse, « la plus belle personne du couvent, qui se disait fort malade, qui aspirait à la mort, une âme défaillante, tourmentée, misérable, plus passionnée que tendre » dont les pensionnaires pensaient « qu’elle avait pris le voile par désespoir d’amour et qu’elle aimait encore… ».

Sand ne publia son autobiographie que plus tard, mais elle avait sans doute raconté cette histoire à Musset. Elle avait appris ensuite que cette femme avait rompu ses vœux, ce qui confirme la remarque de Perdican : « Es-tu sûre que si son mari ou son amant revenait lui tendre la main à travers la grille du parloir, elle ne lui tendrait pas la sienne ? »

Une autre réplique souligne l’influence que George Sand a eue sur Musset lorsqu’il écrit sa pièce. A la fin de la très longue conversation entre les deux jeunes gens qui clôt le 2e acte, Perdican conclut : « On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de la tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui ».

Or, regardez ce passage d’une lettre envoyée par George Sand à Musset le 12 mai 1834 de Venise : « Mais ton cœur, ton bon cœur, ne le tue pas, je t’en prie ! Qu’il se mette en entier ou en partie dans toutes les amours de ta vie, mais qu’il y joue toujours son rôle noble, afin qu’un jour tu puisses regarder en arrière et dire comme moi : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon honneur et mon ennui. »

Les mêmes mots ! Sauf que Musset a remplacé « honneur » par « orgueil » qui convenait sans doute mieux au caractère de la jeune fille.

(J’ai puisé ces éclaircissements dans l’édition de la Pléiade du Théâtre complet d’A. de Musset, texte établi et annoté par Maurice Allem, 1947.)

Les fluctuations des rapports entre Camille et Perdican sont admirablement exprimées par les comédiens et on ne peut empêcher une larme de survenir lorsque Camille met fin à leur badinage : « Adieu, Perdican ! »

 

Théâtre de Carouge jusqu’au 26 mars. Tous les jours sauf lundi.

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