Voyage en psychiatrie
« Comment se fait-il que la psychiatrie hospitalière fasse toujours autant souffrir les malades et qu’elle ait si peu évolué depuis cinquante ans ? »
Cette question, c’est Barthold Bierens de Haan, médecin, chirurgien et psychiatre, ayant pratiqué de nombreuses années à Genève, qui la pose dans la première page de son admirable Chronique d’un voyage en psychiatrie (Ed. Le Condottiere, 2024).
Dessin de Hugues Vollant
Cette interrogation est d’autant plus importante pour lui qu’elle a concerné certains de ses patients et même des membres de sa plus proche famille. Il y répond un peu plus loin, en une ligne : « Sans l’empathie du thérapeute, il n’y a pas de thérapie. Et s’il n’y a que l’empathie, cela ne sert à rien. » Après de multiples expériences, il conclut qu'il faut surtout écouter les patients.
Pour simplifier nous l’appellerons BBDH, ce psychiatre malgré lui, à qui il semblait que le « chemin de vie devait au moins servir à déchiffrer l’énigme du Monde et explorer trois mystères, Dieu, la mort et la folie ! »
Né en 1940 dans le canton de Vaud, d’un père néerlandais et d’une mère suisse, il appartient à une famille remarquable. Il est descendant d’un conseiller fédéral, Gustave Ador, et d’une écrivaine, fondatrice de l’école d’infirmières La Source à Lausanne, Valérie Boissier de Gasparin. Sa mère, Monique Barbey, a publié plusieurs ouvrages, dont Il n‘y a qu’une façon d’aimer vient d’être réédité. Sa sœur, Valérie Bierens de Haan, a mené une brillante carrière à la Télévision romande.
Dialogue avec la folie
Durant toute sa vie, il a dialogué avec la folie. Avec les « perchés », dit-il. Cela débuta en côtoyant son grand-père, bipolaire, à qui le liait une grande complicité et de qui il a copié l’habitude d’une douche froide chaque matin.
Ce ne sont pas les psychiatres qui l’ont guidé, mais les poètes et les philosophes. Éclairé par une citation de Groucho Marx, « Heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière », ces fêlés « qu’il fallait écouter avec soins, peut-être même avec tendresse », BBDH fait le bilan de son voyage en psychiatrie.
Assistant du professeur Ajuriaguerra, patron de la psychiatrie genevoise, il en brosse un portrait saisissant. "Le charme d'Aju était à facettes multiples". D'un côté il souhaitait à chacun le droit de rêver, de l'autre il était un homme d'ordre, un intellectuel très ambitieux. BBDH s'en sépara,étant devenu un militant de ce que l’on a appelé l’antipsychiatrie. Dans cette direction, il avait été influencé notamment par Ronald D. Laing (1927-1989), célèbre psychiatre anglais sur lequel il écrivit un superbe hommage funéraire. C'est par lui qu'il avait "abordé par hasard le monde de la déraison et de la psychiatrie par son versant contestataire."
Parmi les personnalités côtoyées, l’une d’elles est particulièrement frappante, le Père Dumas, prêtre, professeur de philosophie, écrivain, sculpteur, découvert à la clinique de Prangins où BBDH arrive comme jeune interne. Par une erreur d’aiguillage, le patient a été placé dans le pavillon gériatrique, « où l’on abandonne des patients en fin de vie, de vieux zombies médicamentés à l’extrême ». Quelle force de caractère il a fallu à Luc Dumas pour sortir de ce que celui-ci a décrit comme « un cul-de-basse-fosse dont le couvercle en forme d’horreur humaine venait de se refermer » sur lui.
L’un des engagements de BBDH l’entraîna à sillonner le monde pour le compte du Comité international de la Croix Rouge où il était responsable de l’aide psychologique aux délégués en activité dans les zones dangereuses. Mais l'auteur ne s'appesantit pas sur cet aspect de sa carrière qu'il a décrit dans un autre ouvrage passionnant, Sauveteurs de l'impossible (Ed. Belin, 2005).
Dans sa Chronique d'un voyage en psychiatrie, il porte l'attention sur une discipline médicale en essayant de trouver les soins nécessaires. Il arrive à une conclusion : "Je crois qu'il faut démédicaliser la psychiatrie, élargir le modèle biomédical trop réducteur et l'enrichir d'un modèle incluant le psychisme et le social, pour comprendre l'origine des troubles et pour les atténuer".