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Mort d'un patriote, le major Davel

C’était il y a 300 ans exactement, le 24 avril 1723, que le major Davel a eu la tête tranchée. Quelques heures après avoir déclaré : « C’est mon jour de noces avec ma patrie ». 

Cet officier vaudois s’était rebellé contre la tutelle de Berne qui s’exerçait sur son pays et il en payait le prix.

Jusqu’à nos jours, puisqu’il n‘a pas été réhabilité officiellement.

Au début du 18e siècle, la Confédération helvétique n’était encore constituée que de 13 cantons, principalement alémaniques, dont Berne était l’un des plus importants. Comment Berne s’était-il imposé dans le Pays de Vaud ? Et cela depuis près de deux siècles ?

Au 16e siècle, la Savoie, qui occupait le sud du lac Léman, tentait de s’établir de l’autre côté du lac et menaçait Genève.  Genève venait d’adopter la Réforme et allait en devenir l’un des bastions, après avoir chassé son évêque. Elle fit appel à Berne, déjà réformée, pour la soutenir contre le duc de Savoie. En passant, Berne s’installa dans le pays de Vaud. C’était en 1536. Et y demeura.

Ce n’était pas la première fois d’ailleurs que Berne s’implantait chez ses voisins. Elle y était déjà venue pendant les guerres de Bourgogne.

Son administration était excellente, les Vaudois n’avaient pas trop à s’en plaindre, si ce n’étaient quelques têtes brûlées, comme Jean-Daniel-Abraham Davel.

Né en 1670, à proximité de Lausanne, fils de pasteur, Davel reçoit une bonne éducation. Sa mère lui apprend très tôt à lire. Adolescent, il passe plusieurs mois à Interlaken, pour apprendre l’allemand et la pêche. A 16 ans, il est promu en classe d’éloquence et devient apprenti notaire. A 18 ans déjà, il s’installe comme notaire à Cully.

C’est grâce à cette fonction qu’il peut observer de près les problèmes des habitants, les abus de procédure. Si les riches Vaudois s’accommodent de l’influence bernoise, les pauvres ne sont pas gâtés.

A la suite de la révocation de l’Edit de Nantes, de nombreux huguenots traversent sa région et sa famille a été l’une de celles qui accueillirent des réfugiés de passage. Peut-être en a-t-il été influencé.

A 21 ans, il tombe amoureux d’une vendangeuse, qui lui prédit un avenir difficile : il aura un rôle d’émancipateur et sa lutte sera pénible. Là-dessus, il décide de quitter sa vie tranquille.

Mercenaire

Il s’engage comme mercenaire dans le régiment suisse du duc d’Albermale, les  Anglais se battant dans le Piémont avec le duc de Savoie contre la France. Grâce à son sens du devoir, développé par son éducation protestante, il participe honnêtement à la vie militaire.

Après le Piémont, ce seront les Flandres : il constate la richesse des Provinces unies des Pays-Bas. Il est impressionné par cet îlot républicain et protestant qui s’est affranchi de ce que l’on appellerait aujourd’hui la colonisation espagnole. Et qui s’est ouvert sur le monde pour connaître un âge d’or.

Davel ne peut s’empêcher de comparer cette situation à celle de son pays, qui devrait s’en inspirer et gagner son indépendance. D’autant plus que dans son cas, il est le témoin de la rivalité entre Vaudois et Bernois dans le régiment suisse, rivalité qui tourne généralement à l’avantage des Bernois. Malgré ses hauts faits d’armes, il n’obtient pas la promotion qu’il souhaite et mérite.

Enfin nommé capitaine, il décide d’aller recruter des mercenaires en Suisse, ce qui n’est pas admis par les autorités vaudoises, et lui vaut d’être condamné à une peine de prison. Dont il s’évade et va retrouver son régiment qui participe à la guerre de succession d’Espagne.

Une nouvelle déception le décide à démissionner du régiment du général Albermale : à la mort du commandant de sa compagnie, Davel s’était attendu à être nommé à sa place. Ce n’est pas le cas. A la suite de cet affront, il va s’engager dans un régiment au service de la France, régiment dirigé par un Suédois.

Lui qui avait toujours combattu contre la France, se retrouve du même côté. « Nous faisons un métier de soldat. Il ne s’agit pas pour le moment de défendre nos idées et notre pays », rétorque-t-il à ceux qui s’en étonnent. Plus tard, cet argument peut aussi surprendre, vu son esprit de rébellion.

Par son attitude humaine à l’égard de ses soldats, son sang-froid, sa tenue exemplaire, il inspire une sorte de vénération dans ses rangs. 

En 1709, il participe à sa dernière grande bataille, à Malplaquet, près de Maubeuge, où son camp est décimé.

En 1711, il revient en Suisse. Ce sera la fin de sa carrière de mercenaire, vingt années sous divers uniformes et drapeaux.

Notaire

Davel reprend sa profession de notaire. Il administre des propriétés, il supervise des ventes. Il est d’ailleurs propriétaire de vignes lui-même, en ayant hérité de sa famille.

En  1712, le conflit entre cantons catholiques et protestants éclate dans la deuxième bataille de Villmergen. Davel s’engage dans les troupes protestantes, qui sortiront victorieuses. Ses prouesses sont enfin reconnues et il est nommé major avec une rente à vie.

Cinq ans plus tard, il est promu commandant des milices pour les quatre paroisses de Lavaux.  A partir de ce moment-là, il se prépare. Des poussées mystiques l’incitent à se voir en libérateur de sa patrie. Il se compare à Gédéon, appelé par Dieu pour sauver Israël de l’oppression madianite. Il se souvient aussi des prédictions de sa mystérieuse vendangeuse lorsqu’il avait 21 ans.

Fin mars 1723, à la tête d’une milice, sans donner de détails à sa troupe, il marche sur Lausanne, profitant de l’absence des baillis qui se sont rendus à Berne pour les fêtes de Pâques. Il espère convaincre les Vaudois de secouer la mainmise bernoise. Cependant tout ne se déroulera pas comme il l’avait prévu.

Il se présente à l’Hôtel de ville où il prononce un discours devant le conseil municipal dans lequel il reproche au gouvernement bernois de nombreux abus. Il dénonce l’indigne conduite et la vénalité des baillis, coupables  de malversations et d’amendes exorbitantes, ruinant ainsi le commerce local. Les autorités lausannoises feignent de le soutenir, mais, toujours soumises, elles informent aussitôt Berne et le lendemain, le major est arrêté.

Les Bernois le soumettent à la torture, même à l’estrapade, pour lui extorquer les noms de ses complices. Il affirme qu’il a obéi à Dieu et qu’il a agi seul. « Je suis dans les fers pour la gloire de Dieu et le bien de ma patrie », déclare-t-il.

Condamnation

Un tribunal lausannois le condamne à la décapitation « pour avoir fait des efforts dans le dessein de renverser le juste gouvernement des Bernois ».

Le 24 avril, il est conduit à pied de Lausanne à Vidy, lieu de l’exécution, une heure de marche qui lui rappelle le chemin de croix du Christ. Des pasteurs l’accompagnent, mais bavardent entre eux. En chemin, Davel s’arrête pour prier devant une chapelle consacrée aux lépreux.

L’exécution se déroule devant une grande foule. Mais le corps du major ne sera jamais retrouvé, tandis que la tête sera découverte quelques années plus tard chez un apothicaire lausannois.

Ses concitoyens du Lavaux, s’excuseront auprès de Berne : « très humbles et obéissants, très soumis et fidèles sujets » ils dénigreront « un odieux attentat contre l’heureux et doux gouvernement » de Leurs Excellences de Berne.

De son côté, la Savoie dénonce « une conspiration pour un prétendu soulèvement de Lausanne », tandis que la France est « très aise que cette conspiration n’ait pas de suite ».

Chacun parle de conspiration alors que Davel n’avait informé personne de son projet.

Seul contre tous.  

Et Berne continuera à administrer le Pays de Vaud. Aucune des réformes proposées par Davel ne sera réalisée.

Ce ne sera qu’en 1803, 80 ans plus tard, que Vaud deviendra un canton suisse à part entière. Et cela grâce à Bonaparte qui accorde à la Confédération helvétique l’Acte de médiation, pour dix-neuf cantons à égalité.

Tableau incendié

Le malheureux Davel a encore été la victime d’une autre attaque contre son intégrité. Un tableau, commandé par le canton de Vaud au peintre Charles Gleyre en 1845, illustre l’exécution du major Davel. Son visage est celui d’un ami du peintre, l’écrivain Juste Olivier.

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Au Musée des beaux arts de Lausanne où le public pouvait admirer l’œuvre et rendre hommage au héros malheureux, un inconnu mit le feu à la toile en 1980. Seule subsiste, en bas à droite, l’image d’un soldat affligé. C’est peut-être le meilleur symbole d’un combat perdu.

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