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Peinture genevoise à Jussy

Une collection privée d’une centaine de peintures genevoises vient de s’ouvrir au public dans un cadre superbe et accueillant : la Collection du Crest au château de Jussy.

Depuis une vingtaine d’années, le propriétaire du château, Yves Micheli, a réuni un ensemble d’œuvres de peintres genevois, du 18e au 20e siècle.  Peintres connus, comme Liotard ou Hodler, mais aussi moins connus et qui méritent de sortir de l'ombre. De quoi faire pâlir d’envie le Musée d’art et d’histoire.

Ne vous attendez pas à entrer dans le château.  De nombreux bâtiments extérieurs, granges et caves, abritent les activités multiples qui se sont développées au 20e siècle : outre le vignoble de 20 ha, le secteur agricole, dix fois plus étendu, avec vaches et cochons, et un lieu pour goûter et acheter les vins, se sont ajoutées récemment des chambres d’hôtes. 

Château

Le château a été construit au 13e siècle, puis démantelé à la fin du 16e. Ce fut l’écrivain réformé Agrippa d’Aubigné, en exil, qui le restaura en 1624. Après sa mort, la famille protestante Micheli, arrivée de Lucques (Toscane), comme les Turrettini ou les Diodati, s’y installa, et y demeure jusqu’à aujourd’hui. (La ville de Lucques a d’ailleurs offert la bourgeoisie d’honneur aux Lucquois devenus Genevois pour cause de religion.)

Le musée occupe une des ailes des communs, réaménagée spécialement, dont l’entrée est décorée par une belle collection de cloches de vaches. On pourra d’ailleurs constater que les vaches ont beaucoup inspiré les peintres genevois.

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Œuvres

Les œuvres se succèdent plus ou moins chronologiquement en tenant compte des thèmes choisis.

Le Portrait de Jacques-Barthélemy Micheli du Crest, âgé de 31 ans, ancêtre direct, peint par Robert Gardelle en 1721, nous invite à entrer dans le musée. Il n’est pas seulement là en sa qualité d’ancêtre, mais parce que ce fut une personnalité marquante, politique, savant, ingénieur, qui se permit de critiquer le régime aristocratique de Genève et qui en paya le prix : il mourut en captivité dans un autre château, Aarbourg, en Argovie. Gardelle, qui se forma dans l’atelier du portraitiste Largillière, a tiré le portrait de nombreux notables genevois, mais ce sont ses Vues de Genève qui me plaisent le mieux.

Jean-Etienne Liotard (1702-1789), le portraitiste genevois qui se fit connaître par ses turqueries lors de son séjour à Constantinople, est représenté ici par un brillant pastel de Joseph, archiduc d’Autriche (1762), un membre de la famille impériale d’Autriche avec laquelle il entretenait des relations étroites.

Jean-Etienne avait un frère jumeau, Jean-Michel, dont on ne sait pas grand-chose. Ce pastel, La Géométrie, est d’autant plus intéressant qu’il est le seul connu et qu’il représente une jeune femme visiblement en pleine réflexion scientifique, copie d’un tableau de Jean-Baptiste Santerre.

A la génération suivante, Jean-Pierre Saint-Ours (1742-1809) et son ami Pierre-Louis de la Rive (1753-1817) sont des artistes classiques, influencés par les peintres français et hollandais. 

Ils sont suivis par un trio d’amis du même âge, Wolfgang Adam Toepffer (1766-1847), Firmin Massot (1766-1849) et Jacques-Laurent Agasse (1767-1849). Quoique d’origine allemande, et peut-être pour cela, Toepffer s’intéresse aux scènes de la vie genevoise et d’alentour, tandis qu’Agasse se spécialise dans l’art animalier et Massot dans les portraits, mais ils se donnent parfois des coups de main et de pinceau.

La Promenade de la Treille à Genève (1820) est l’un des plus beaux tableaux de Toepffer, avec tous ses détails savoureux, qui nous rappellent que Wolfgang Adam était le père de Rodolphe (non représenté dans le musée).

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Alexandre Calame : Mont-Blanc, 1854

Le 19e siècle est tellement dominé par deux grands paysagistes, François Diday (1802-1877), Alexandre Calame (1810-1864) et par Barthélemy Menn (1815-1893) qu’ils occultèrent ceux qui les suivirent, notamment Gustave Eugène Castan (1823-1892), Albert Lugardon (1827-1909), Edouard-John Ravel (1847-1920), oncle du compositeur Maurice Ravel, Léon Gaud (1844-1908) ou Auguste Baud-Bovy (1848-1899).

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Léon Gaud : Vue du Léman depuis un jardin potager, 1885

Les trois derniers ont magnifiquement bénéficié de l’enseignement de Menn.  La Source du torrent (1893) de Baud-Bovy, un paysage vertigineux, le  prouve, de même que La Vue du Léman depuis un jardin potager (1885) de Léon Gaud.

On en arrive inévitablement à Ferdinand Hodler (1853-1918) qui lui aussi occupa une place prépondérante. Ses paysages au pied du Salève sont particulièrement réussis. Parmi ses contemporains, le paysagiste de montagnes Albert Gos (1852-1942), et surtout Jean-Daniel Ihly (1854-1910), à la fibre sociale : il peint des travailleurs en pleine activité.

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Jean Daniel Ihly : Carriers au travail au bord de la rade de Genève, 1896

Eric Hermès (1881-1971) est l’un des rares étrangers de la Collection du Crest. Il s’installe très jeune à Genève que ses paysages et Hodler fascinent. Sa Barque au bord du Rhône offre un exemple de son sens subtil de la couleur. Mais son œuvre a été très variée, allant de l’affiche aux fresques dans des églises.

Presque contemporains, tous deux nés en 1882, Hans Berger et Alexandre Blanchet, ainsi que Maurice Barraud (1889-1954), alternent entre les natures mortes, les paysages et les nus. Mais Emile Chambon (1905-1993) a en quelque sorte sacralisé les formes féminines comme avec Les Trois Grâces à Carouge (1951).

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Emile Chambon : Les trois Grâces, Josiane, Liliane & Nelly à Carouge, 1951

L’un des deux artistes, avec Claude Sauthier (1929-2016), ayant  connu le 21e siècle, Jean Roll (1921-2015) est l’un des rares cubistes avec Les Géomètres (2005).

Sculptures

Quelques sculptures attirent l’attention sur un autre aspect de l’art genevois. James Pradier (1790-1852) est sans doute le sculpteur le plus connu. On le trouve même sur l’Arc de Triomphe à Paris. Il est représenté par trois petits bronzes féminins élégants.

James Vibert (1872-1942), auteur de L’Eve nouvelle, était un grand ami de Hodler qui en a laissé un très beau portrait, pour lequel on peut voir ici une étude.

Autre femme, celle de Carl Albert Angst (1875-1965), Femme bacchante. Un exemple peu représentatif de l’œuvre abondant de cet ébéniste de formation qui devint un sculpteur, professeur à l’école des arts et métiers à Genève et reconnu  internationalement.

Robert Hainard (1906-1999), lui,  s’est intéressé aux animaux : sanglier, chouette et hibou nous narguent ; on lui doit aussi de nombreuses gravures.

Femmes

La collection du Crest ne compte que trois femmes, mais elles valent la peine d’être citées. Louise-Emilie Leleux (1824-1885) et son mari Armand Leleux ont été au centre d’un groupe d’artistes à Dardagny dont elle était originaire. Corot y séjourna souvent. S’y réunissaient aussi Daubigny, Menn, Gaud, et des écrivains, Eugène Sue, Théophile Gautier et son amie la danseuse  Carlotta Grisi.

Alice Bailly (1872-1938) évolua aussi dans un milieu d’artistes ; après avoir quitté Genève pour s’installer à Paris, elle fréquenta les mouvements proches du cubisme, un style qu’elle adopte dans ce Bouquet.

Quant à Marguerite Vallet-Gilliard (1888-1918), fille du peintre Eugène Gilliard, elle débute très jeune à Paris où elle expose déjà à 16 ans. C’est en Valais qu’elle s’épanouit et qu’elle épouse le Genevois Edouard Vallet (1876-1929), dont plusieurs vues de Genève sont exposées. Elle meurt trop jeune pour développer ce style original que prouve le Concert valaisan (1915), à la fois intime et convivial.

C’est sur ce trio féminin que je termine ce petit tour dans une exposition très bien présentée et accompagnée d’une brochure qui apporte de multiples renseignements sur les artistes et les œuvres. On trouve aussi sur www.collectionducrest.ch un texte explicatif et de nombreuses illustrations.

Pour conclure, je me permettrai de signaler un ouvrage qui traite du même sujet : Peintures de Genève (Ed. Slatkine, 1998) que j’ai publié naguère avec l’aide de Lucien Boissonnas, historien d’art, qui a aussi été l’un des collaborateurs d’Yves Micheli pour réunir sa belle collection.

 

La Collection du Crest est ouverte le mercredi et le samedi de 10 à 17 h. (sauf jours fériés)

Rue du Château du Crest 40, 1254 Jussy

Bus 32, arrêt La Loure (et non Jussy-Château, allusion à un château disparu)

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