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Le tricentenaire du peintre Reynolds

Il y a 300 ans, le 16 juillet 1723, naissait le grand peintre anglais Joshua Reynolds. Son père, un maître d’école dans le Devon, s’aperçoit des dons artistiques de son fils et l’encourage dans cette voie. Il sera aussi aidé par ses sœurs. L’une d’elles le soutiendra financièrement à plusieurs reprises.

A 17 ans, le jeune Joshua part pour Londres où, pendant trois ans, il sera l’élève de Thomas Hudson, un portraitiste qui initiera plusieurs jeunes peintres dans ce métier très apprécié à l’époque.

Dès l’âge de 21 ans, Reynolds entrera dans la lignée des grands portraitistes anglais, trouvant ses modèles à Londres et dans le Devon.

Sous les règnes de George II et George III, l’Angleterre, grâce à la paix d’Aix-la-Chapelle qui mettait fin à la guerre contre la France, entrait dans un siècle prospère. Le capitalisme et la production industrielle se développaient, ainsi qu’une expansion coloniale. Les notables posaient volontiers pour que leur portrait se propage et passe à la postérité. Comme on l’a vu également en Ecosse, dans ma chronique du 8 juillet à propos de Henry Raeburn.

A l’instar de nombreux jeunes artistes britanniques, Reynolds va passer trois ans en Italie où il a eu la chance d’être emmené par un mécène, le futur amiral Keppel (dont Reynolds fera évidemment le portrait), à bord d’un vaisseau superbe, le HMS Centurion. Il va s’imprégner de la tradition des grandes écoles de la Renaissance italienne, à Rome, Florence, Bologne, et naturellemment Venise. Non seulement peut-il peindre des portraits, mais il s’essaiera aussi à la caricature, suivant l’exemple des croquis grotesques de Thomas Patch, un spécialiste du genre. Genre que Reynolds abandonnera assez rapidement. Ce n’est vraiment pas son style, lui qui théorisera plus tard le « Grand Style », s’appuyant sur l’exemple italien.

Mais ne nous trompons pas. Ce qu’il enseignera, il ne le pratiquera guère. Son œuvre n’a rien de grandiose. Il restera toujours dans un modèle plus libre, plus sensible.

Célibataire

Lorsqu’il revient à Londres, il s’installe dans une demeure à Leicester Square, en plein centre, qu’il ne quittera plus. Resté célibataire, il peut compter sur sa sœur cadette Fanny, puis sur ses nièces pour tenir son ménage. Si Fanny le quitte, c’est qu’elle en a assez de ce qu’elle considère comme son caractère tyrannique et sa pingrerie. S’il ne s’est pas marié, c’est que son intérêt pour les femmes ne durait jamais longtemps, a-t-il avoué. Et l’indifférence n’est pas une bonne base pour un mariage, reconnaissait-il.

Il devient très vite le centre d’un cercle brillant de la société londonienne. En 1764, il fonde le Literary Club qui groupe des célébrités telles que les écrivains Samuel Johnson et Oliver Goldsmith, l’homme politique et philosophe Edmund Burke, le dramaturge Sheridan, l’acteur Garrick. Son atelier, une véritable ruche, accueille amis et assistants.

On estime à 2000 le nombre de ses portraits, dont 80% de femmes. Il ne faut pas s’étonner qu’il ait eu recours à de jeunes peintres pour l’aider à exécuter certains arrière-plans de ses toiles.

Pour disséminer son œuvre, il engage de nombreux aquafortistes qui réalisent des gravures à partir de ses portraits. Mises en vente, elles lui rapporteront une jolie fortune, s’ajoutant aux sommes que génèrent les portraits. 

Reynolds est l’un des fondateurs de la Royal Academy en 1768, dont il deviendra, élu à l’unanimité, le premier président. Il organisera chaque année une exposition des membres  de la Royal Academy, une tradition qui se poursuit aujourd’hui.

Dans le cadre de ses fonctions d’enseignant, il publiera régulièrement des Discourses on art, un programme pédagogique qui élabore des théories sur le style qu’il ne suivra guère lui-même, mais qui eurent une grande influence dans les milieux artistiques.

Son voyage en Italie n’est pas le seul à l’étranger. Son intérêt pour l’histoire de l’art et de la peinture l’a forcément stimulé pour se rendre à Paris en 1771 et dix ans plus tard aux Pays-Bas. Ses séjours élargiront son horizon. De France il revient avec un goût pour des sujets plus dramatiques, et aux Pays-Bas il sera particulièrement influencé par Rubens. De Rembrandt, il remarquera spécialement le Bœuf écorché, dont il dira que « cela tue tout le reste ».

Autoportraits

Le roi George III l’anoblit en 1769 et quelques années plus tard il sera honoré par l’université d’Oxford. A cette occasion, il réalise un superbe autoportrait en habit académique. A l’arrière-plan on devine les bustes de Michel Ange et de Rembrandt. On lui doit d’ailleurs plusieurs autoportraits. Le plus précoce « avec la main en visière », lorsqu’il n’a que 23 ans, semble prémonitoire : il sera affecté par des problèmes de vue à la fin de sa vie. Il a d’ailleurs succombé à un cancer de l’œil.

 Il a aussi souffert de surdité dans une oreille depuis son séjour à Rome. Il utilise souvent un cornet acoustique, ce qui ne semble pas le gêner en société : il en joue pour se permettre de ne pas comprendre ce qu’il ne veut pas entendre. Il s’est d’ailleurs portraituré, à l’âge de 52 ans, comme «un homme sourd », la main à son oreille. (Tate Gallery, Londres)

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S’il est l’ami de beaucoup de célébrités, accueillant à la Royal Academy des personnalités étrangères comme les Suisses Angelica Kaufmann et Füssli, ou Johann Zoffany, qu’il encouragea dès son arrivée à Londres, il a parfois pris des positions assez tranchées concernant certains artistes, des concurrents souvent.

Par exemple à l’égard du Genevois Etienne Liotard, il n’est pas du tout sur la même ligne. L’historien d’art Jan Blanc, professeur à l’université de Genève, qui a publié en deux volumes l’intégralité des Ecrits de Sir Joshua Reynolds (Ed. Brepols, Turnhout) explique leur différence de point de vue : «  Liotard, c’est la minutie, c’est le peintre de la précision, de la netteté, des petits formats. Pour Reynolds, au contraire, un portrait doit d’abord se fonder sur ce qu’il appelle « la forme générale » et ne pas se perdre dans les détails ».

Rivaux

Dans le domaine du portrait, son grand rival en Angleterre a été George Romney, d’une dizaine d’années son cadet, pour lequel il nourrissait une certaine antipathie. Il y eut aussi une vraie concurrence avec Allan Ramsay qui avait été nommé avant lui « peintre du roi » par Guillaume III. Ce n’est qu’à la mort de Ramsay en 1784 que Reynolds hérita de cet honneur.

Avec Gainsborough, lui aussi un fondateur de la Royal Academy, le peintre anglais qui est sans doute le plus connu de cette époque, les relations n’ont pas été cordiales non plus. Mais ils se sont réconciliés : sur son lit de mort, Gainsborough lui envoya un message pour lui dire son admiration. Reynolds devait sûrement admirer également son œuvre puisqu’il acheta un de ses tableaux qui figure parmi les nombreuses toiles de maîtres acquises par Reynolds, grâce à sa grande fortune. On y trouve Bellini, Bassano, Rembrandt, Van Dyck, par exemple. Principalement sur des sujets bibliques.

Mais revenons à l’art de Reynolds et à certaines pièces particulièrement significatives.

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Lord Heathfield, gouverneur de Gibraltar (National Gallery de Londres), date de 1787, peu après que celui-ci fut créé Baron Heathfield de Gibraltar, pour célébrer sa victoire contre les Espagnols et les Français qui avaient mené le siège pendant plusieurs années. Vêtu d’un uniforme rouge et d’un pantalon blanc, il tient dans sa main la clé de Gibraltar. L’air serein et sûr de lui. Son visage se détache devant un nuage de fumée, pour rappeler le feu de la forteresse assiégée. On peut noter des couleurs assez bitumeuses qui s’expliquent par l’habitude qu’avait l’artiste de couvrir ses toiles de vernis résineux, vernis qui s’opacifiaient avec le temps. Une méthode défectueuse assez surprenante chez un peintre qui aurait dû mieux connaître l’art de peindre après l’avoir tant étudié.

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Le portrait de Lavinia, vicomtesse Althorp, puis comtesse Spencer, datant de 1782, appartient encore à la famille Spencer. La jeune femme sourit légèrement, nous regarde droit dans les yeux ; elle ne se prend pas au sérieux malgré un habillement plutôt recherché. Une capeline sur des cheveux poudrés entoure son visage, plusieurs couches de vêtements blancs et orange recouvrent sa poitrine jusqu’à la taille. Sur un fond sombre, rien de plus, mais quel charme.

Enfants

La renommée de Reynolds passe les frontières. L’impératrice Catherine de Russie lui commande une œuvre, ce sera Hercule enfant étranglant les serpents, une énorme toile de 3 m. sur 3, qui enthousiasma ses confrères, notamment Füssli, lorsqu’elle fut exposée à la Royal Academy en 1786, avant d’être expédiée à Saint-Pétersbourg.

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Autre enfant, Master Crewe habillé en Henry VIII (collection privée), date de 1776. Master est le nom qu’on donne aux jeunes garçons de la noblesse. Il doit avoir 7 ou 8 ans, se tient fermement sur ses jambes écartées, la main à la ceinture, et deux chiens à ses pieds.  Avec une houppelande rouge sur une tunique lourdement brodée et un chapeau plat porté de biais, son sourire n’est pas conquérant, il semble presque surpris d’avoir endossé ce costume de roi, après avoir mis de côté sa veste verte posée sur un tabouret. Le fond est principalement obscur, sauf un petit coin de fenêtre qui laisse entrevoir un bout de ciel et quelques arbres. Le gamin pourra aller s’y ébrouer avec ses chiens à la fin de la séance de pose.

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Un enfant, tout différent, plein de douceur, Master Hare, se trouve au Louvre. Le portrait, peint en 1788, a été légué par Alphonse de Rothschild en 1905, une époque où le musée parisien commençait à s’intéresser à la peinture anglaise. Le petit garçon, âgé de deux ans, est le fils d’un écrivain et d’une peintre amateur. De jolies boucles rousses et une sorte de robe qui découvre son épaule lui donnent l’air d’une petite fille. Il est assis devant un paysage et un ciel bleu. Il tend sa main droite devant lui, comme s’il voulait nous montrer quelque chose. Quoi ? Le peintre nous laisse deviner.

Il semblerait que cette charmante toile soit l’une des dernières de Reynolds qui a perdu la vue dans un œil en 1789 et exposa pour la dernière fois à la Royal Academy en 1790. Il meurt le 23 février 1792 à l’âge de 68 ans. Il est enterré dans la crypte de la cathédrale de Saint-Paul à Londres où le rejoindra Turner quelques décennies plus tard. 

On a pu dire que sa mort a marqué le début de la fin d’une grande époque de la peinture britannique. 

Même si certains critiques osent maintenant déclarer que Reynolds n’a jamais été un grand peintre. Il a su se faire connaître en se liant avec les célébrités de son temps et en sachant se vendre.

Pour rendre hommage à Reynolds, le musée de Kenwood, à Hampstead au nord de Londres, expose 17 tableaux, principalement des portraits, jusqu'au 19 novembre. Bonne occasion de se rendre à Kenwood qui vaut le détour. Outre son musée avec de belles peintures, et une jolie buvette, il est situé dans un parc magnifique.

A Genève, le Musée d’art et d’histoire ne possède aucune toile de Reynolds, mais son cabinet d’arts graphiques abrite 26 estampes, principalement des portraits, dont un autoportrait. La plupart proviennent d’un ancien fond. Certaines ont été l’œuvre de deux graveurs à différentes époques, preuve de la persistance de sa renommée.

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