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Ada, pionnière de l'informatique

Il y a dans la famille du poète Byron, un âge maudit : son père, lui-même et sa fille Ada sont tous trois morts à 36 ans. Ou presque : j‘exagère un peu, John, le père, n’avait que trente-quatre ans.

John Byron, surnommé Mad Jack, qui avait été officier militaire, était connu par sa violence, son imprévisibilité, et son alcoolisme, mais aussi par sa grande beauté. Il quitta le domicile conjugal lorsque le futur poète n’était qu’un bébé, ce qui permit à celui-ci d’admirer son père d’autant plus qu’il ne pouvait que l’imaginer.

John Byron, né en 1757, passa ses dernières années à fréquenter les salles de jeux, à boire et à conquérir les femmes. Sa vie dissolue lui assura une fin précoce, en 1791.

Le poète, lord Byron, et sa fille moururent prématurément, souffrant tous deux de santés fragiles et ne s’étant pas protégés des aléas de la vie.

Une famille très spéciale

Lorsque je préparais le texte consacré au poète à l’occasion du bicentenaire de sa mort (voir le blog du 19 avril 2024), j’ai été intriguée par la personnalité de sa fille Ada, dont on disait qu’elle avait été une pionnière de l’informatique. Comment était-ce possible ?

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Augusta Ada King, comtesse Lovelace, par Margaret Carpenter, 1836

 Avant de diriger les projecteurs sur les activités d’Ada, rappelons la situation familiale. Née le 10 décembre 1815 et morte le 27 novembre 1852, elle est la seule fille du mariage du poète avec Annabella Milbanke .

Pour compliquer le tableau, elle n’est pas la seule fille du poète. Celui-ci, à la suite d’une liaison avec sa demi-sœur Augusta, avait déjà une fille, Medora, qui eut plusieurs enfants et succomba de la variole à 35 ans (proche  de l’âge maudit).  Il eut une troisième fille, Allegra, fruit de sa liaison avec Claire Clairmont, la belle-sœur de son ami Shelley. Il l’enleva à sa mère et, victime d’une enfance malheureuse  et d’une fièvre typhoïde, l’enfant mourut à 5 ans.

Ada, elle, est élevée par sa mère Annabella, car, dès sa naissance, elle est séparée de son père. Il n’y avait guère d’atomes crochus, si j’ose dire, entre ses parents. D’un côté un poète et de l’autre une femme plus attirée par la science que la poésie. Son époux l’avait d'ailleurs surnommée « la princesse des parallélogrammes ».  Ada hérita des deux. On a pu dire qu’elle trouva dans les mathématiques une inspiration poétique.

Influence de Babbage

Comme toute jeune fille bien née, elle est présentée à la Cour et se rend à des réceptions mondaines. C’est ainsi qu’elle rencontrera le savant  Charles Babbage chez qui elle est fascinée par une machine analytique qui, à l’aide de cartes perforées, est capable de résoudre tous les calculs.   

Quand Ada apprend que la description de la machine a été écrite en français par un ingénieur italien, elle le traduit en anglais. Babbage, qui a compris que la jeune femme est parfaitement capable d’écrire un texte semblable, l’encourage à ajouter des notes. Ce qu’elle fait avec empressement : elle produira un document deux fois plus long que l’original. Ainsi débute son implication dans la science mathématique et son évolution. D’où le surnom que lui donna Babbage,  « l’enchanteresse des nombres ».

Une citation d’Ada peut expliquer sa compréhension du sujet : « Beaucoup de personnes […] s'imaginent que parce que la Machine fournit des résultats sous une forme numérique, alors la nature de ses processus doit être forcément arithmétique et numérique, plutôt qu'algébrique ou analytique. Ceci est une erreur. La Machine peut arranger et combiner les quantités numériques exactement comme si elles étaient des lettres, ou tout autre symbole général ; en fait elle peut donner des résultats en notation algébrique, avec des conventions appropriées. »

J’avoue que pour moi le problème reste entier.

Mariage et trois enfants

Mais j’ai un peu anticipé. En 1835, âgée de vingt ans, on la marie avec  William King, comte Lovelace. Quand elle se lance dans son commentaire sur l’œuvre de Babbage en 1843, elle est épouse et mère de trois enfants dont elle ne s’occupe pas. Elle évite de leur faire du mal, dit-elle. C’est sa mère qui se charge de leur éducation. Ce qui plaît aussi au mari, qui s’entend très bien avec sa belle-mère et pas du tout avec ses enfants.

Le mariage et la maternité ont très vite déprimé Ada. Pour se changer les idées, elle joue de la harpe, puis décide de se lancer dans l’étude sérieuse des mathématiques avec l’aide d’un professeur. Ce sera d’abord une femme, Somerville, puis Morgan, avant d’arriver à Babbage, qui l’encourage et la convainc de poursuivre ses recherches. Elle sollicitera aussi Faraday, le fameux physicien, qui la qualifie d’« étoile montante de la science », mais qui refuse de l’aider, sous  prétexte qu’il est en trop mauvaise santé. Il vivra cependant encore plus de vingt ans…

Grâce à ces contacts, Ada se lance dans l’écriture  d’essais scientifiques, notamment sur la structure moléculaire de la matière, sur le magnétisme, sur l’importance que la photographie pourrait avoir dans la recherche scientifique, sur le travail en réseau.

Outre son intérêt pour la science, Ada se meut aussi dans des milieux intellectuels anglais. Elle connait Dickens, qui viendra la voir sur son lit de malade, ainsi que Florence Nightingale, une véritable amie.

Lorsqu’elle meurt le 25 novembre  1852 après une année de souffrances dues probablement à un cancer de l’utérus, aucun de ses travaux n’aura été publié. Comment pourrait-on faire confiance à une femme qui n’avait même pas accès à des bibliothèques, puisque celles-ci sont interdites à la gent féminine ?

Alors comment sa renommée a-t-elle surgi au 20e siècle ?

Résurgence

Un fils de Babbage fabriqua une des machines de son père, mais comme cela n’intéressait personne, il en dissémina des modèles dans des musées et dans un grenier de Harvard. Un physicien américain, Howard Aiken, découvrit l’engin en 1937. Fasciné, il réussit à convaincre IBM de fabriquer un de ces calculateurs électromécaniques, ce fut Mark I. Il en connaissait la paternité de Babbage et d’Ada. Pendant la guerre, il avait obligé les membres de son équipage dans la marine américaine, à lire les Notes d’Ada Lovelace. Mark I  participera  au programme de recherche de la bombe atomique.

En 1950, le mathématicien Alan Turing s’inspire des travaux d’Ada et donne pour titre à l’une de ses publications L’Objection de Lady Lovelace.

En 1978, le nouveau langage informatique de la Défense américaine est nommé Ada. Ainsi débuta vraiment le renom de celle qui n’était plus seulement la fille du poète Byron.

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P.S. L’ouvrage de Catherine Dufour, Ada ou la beauté des nombres. La pionnière de l’informatique (Fayard 2019) a servi d’inspiration à mon texte. De sa plume acérée et avec son esprit caustique, elle brosse un portrait passionnant d'une personnalité hors norme et de son époque.

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