Défense du français
Pendant que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal croupit dans une prison algérienne (ou un hôpital) pour atteinte à la sûreté de l’Etat, son essai qui vient de paraître, Le français, parlons-en ! (Ed. du Cerf), nous saisit par sa hardiesse, sa culture, ses sarcasmes. Ses aphorismes font mouche. Son amour de la langue française nous éblouit.
En Algérie, « il y a comme un concours national ouvert autour de ma personne, c’est à qui me haïra le plus. Être un mauvais Algérien en Algérie, c’est mal, avoir en plus en France la réputation d’être un Algérien sérieux, c’est pire que tout. »
Il faut reconnaître qu’il n’y va pas par quatre chemins quand il critique son pays : « Depuis l’arabisation et la réislamisation de l’Algérie, (…) elle n’a cessé de régresser dans tous les domaines, allant comme un ivrogne d’un mur à l’autre, de coup d’État en coup d’État, de crise en crise (…) ».
En citant Voltaire, parmi beaucoup d’autres auteurs, on dirait qu’il s’est décrit lui-même : « Voltaire qui savait voir du bon œil et le dire avec cette langue acide qui faisait son charme destructeur ».
Cependant, en page de titre de son ouvrage, il annonce : « Boualem Sansal, écrivain francophone à la retraite en recherche d’une vraie espérance » et ajoute une « Enquête ponctuelle : De quoi le français est-il le nom ? Une religion, une bataille perdue, une grande victoire, un programme de sélection ethnique, un logiciel de traduction ? Quoi d’autre ? »
C’est tout cela qu’il examine pour souligner « la force créatrice de la langue ».
Droit de regard
Que va devenir cette langue, « qui fut celle de la puissance, de la liberté, de la beauté, de la connaissance, de la diplomatie, de la Révolution universelle, de la séduction, de l’art de vivre dans la légèreté » ?
Sansal trouve injuste que les francophones, cinq fois plus nombreux que les Français de souche, n’aient pas droit de regard sur son évolution. Mais se réjouit que l’Académie française se soit donné tout récemment « un Perpétuel venant des Lumières francophones ».
Le français se laisse envahir par le globish, par la langue inclusive « qui exclut tout et n’inclut rien », ou par la langue européenne de Bruxelles.
A qui peut-on donc confier la garde de la langue française pour la défendre ? demande-t-il. Pas aux Belges, pas aux Canadiens, « l’épidémie de la bienpensance les a infestés. Pas à l’Algérie officielle, « elle a honte de sa francophonie, elle ne la reconnaît pas, le français dont elle était si fière est son cauchemar au même titre que le choléra saisonnier ». Pas à la Suisse, « un État sérieux mais qui détient déjà notre argent et nos secrets de famille ». Il ne reste que « le Sénégal et le Congo, grâce à Souleymane Bachir Diagne ou Alain Mabanckou et d’autres auteurs de la même trempe ».
Origine du français
L’auteur consacre de nombreuses pages à la recherche de l’origine du français. Vient-il du grec, du latin, des Gaulois, des Francs, des Angles, des Vandales et autres tribus germaniques, des Arabes ? « On ne connaît pas mystère historico-philologique plus abracadabrant. Au final, très humblement dit, on ne sait pas d’où vient le français ».
Autre question, à laquelle il donne une réponse circonstanciée : pourquoi le coq est l’emblème de la France et pourquoi est-il allé se percher sur les clochers de ses églises ?
Je ne vous donnerai pas l’explication et vous laisserai le plaisir de la découvrir en lisant les pages scintillantes qu'a écrites un homme actuellement incarcéré par un régime dont on ne peut que déplorer la décision.
Victime d’un mandat de dépôt à mi-novembre pour atteinte à la sûreté de l’État et intelligence avec l’ennemi, dont la demande de remise en liberté a été rejetée, Boualem Sansal, 79 ans, a été transporté dans une unité de soins le 16 décembre.
Un comité de soutien s’est aussitôt formé en France ; il demande aux autorités françaises de tout mettre en œuvre pour obtenir sa libération le plus rapidement.